La Creuse, hyper-ruralité et potentiel – 05 janvier 2018

Elevage, économie, territoire, santés animale et publique
Hyper-ruralité et potentiel

La Creuse, laboratoire de l’hyper-ruralité => Chaque début d’année, nous vous proposons un article qui dépasse notre strict cadre sanitaire… notre choix s’est évidemment orienté vers l’antagonisme réforme territoriale et hyper-ruralité !

 L’actualité politique récente a mis en lumière les zones rurales, leurs désindustrialisation, disparition des services publics et privés et baisse de la démographie. La réforme territoriale (cf. encadré), articulée autour de métropoles comme Bordeaux aimantant l’activité au détriment des anciennes capitales régionales, accentue l’éloignement des populations des pôles de décision publics et économiques. La Creuse a été choisie par le gouvernement comme modèle de territoire hyper-rural. Au-delà du caractère péjoratif du qualificatif, cela amène à se poser les questions suivantes : Qu’est-ce qu’un département hyper-rural (cf. encadré) ? Comment maintenir les populations dans ces territoires ? Quel avenir pour l’élevage, moteur de l’économie et architecte de l’espace rural ?

En Creuse, nous vivons avec des paysages uniques, sculptés par la nature et la main de l’homme depuis des siècles, au travers de l’élevage et de l’agriculture. Pour que la campagne puisse continuer à être un poumon vert aux centres urbains, un puits de carbone stratégique (cf. : http://www.gdscreuse.fr/?p=4376) et une aire de jeu les week-ends, des dispositifs de transfert financier sont indispensables, sous forme directe par une solidarité régionale ou indirecte par des allègements des charges dans les zones hyper-rurales, d’où une nécessaire solidarité financière des métropoles.

La Creuse, un département hyper-rural…

La Creuse a été choisie comme département pilote de traitement des territoires hyper-ruraux car elle correspond sur tous les points aux critères d’un département hyper-rural (cf. encadré). Avec moins de 120.000 habitants et 22 habitants au km², la Creuse est le deuxième département le moins peuplé de France. Sa population ne représente que 2 % de la région Nouvelle-Aquitaine. Sa démographie chute régulièrement depuis 200 ans du fait de l’exode rural avec un vieillissement de la population, en faisant le département le plus âgé d’Europe. Avec 20.000 € annuel, le revenu moyen par foyer fiscal est inférieur de 6.000 € à la moyenne nationale et un des plus faibles de France. L’accès à internet reste compliqué dans certains secteurs et de nombreuses zones blanches persistent en téléphonie mobile. Comment attirer des touristes si le gîte n’a pas de WIFI ou que le smartphone affiche zéro barre ? En matière d’infrastructures, si l’autoroute A20 et la N145 constituent des axes majeurs de communication, le sud creusois souffre d’un enclavement peu propice au développement économique. Quant aux liaisons ferroviaires, elles se limitent à la desserte de la gare de La Souterraine, actuellement menacée.

 

 

… ou un département « super-rural » avec une haute qualité de vie !

L’appellation « territoire hyper-rural » a un côté péjoratif renié par ses habitants : pourquoi ne pas parler de territoire « super-rural » ? Les atouts de la Creuse sont nombreux pour qui sait les apprécier. Notre nature est préservée, avec une eau exempte de pollution et l’air le plus pur de France. Nous vivons avec des paysages uniques, sculptés par la nature et la main de l’homme depuis des siècles, au travers de l’élevage et de l’agriculture. Les prix du foncier et de l’immobilier sont faibles, permettant de se loger même avec des revenus inférieurs à la moyenne de la population. La qualité de silence et l’absence de luminosité nocturne sont enviées par les habitants des zones urbaines et ils viennent les rechercher dès qu’ils le peuvent. Le niveau de sécurité s’avère remarquable par rapport aux métropoles. Tout cela nous donne une qualité de vie incomparable avec celle des citadins et font de nos zones des lieux de villégiature recherchés. Mais l’affluence de ces touristes ne suffit pas à maintenir vivant un territoire tout au long de l’année, des aménagements sont nécessaires pour maintenir, voire rétablir, un véritable tissu socio-économique propice au développement.

 

 

Comment maintenir les populations dans ces territoires ?

Les habitants des territoires hyper-ruraux sont conscients des handicaps et des atouts de leur habitat et en acceptent les spécificités. On ne peut espérer l’existence de transports en commun équivalents aux zones urbaines faute d’usagers ou d’une ligne TGV passant près de chaque village. Cependant, les habitants veulent vivre au 21ème siècle. Fixer les populations, favoriser l’implantation d’activités tertiaires nécessitent des prérequis. Ce siècle sera marqué par la révolution numérique. C’est une opportunité pour les zones rurales, car cela ouvre des perspectives de télétravail et de développement économique hors des bassins d’emplois traditionnels. Cela demande une couverture de tout le territoire en haut-débit et la suppression des zones blanches avec un déploiement de la fibre ou de la 4G, les agriculteurs étant par ailleurs parmi les professions les plus informatisées.

Dans une population vieillissante, la préoccupation de l’accès aux soins est légitime. Devant la pénurie de praticiens, des solutions sont à inventer : regroupement de compétences, accès à des spécialistes par télémédecine d’où la nécessité des outils numériques. L’accès à un service d’urgence en moins de trente minutes est l’autre priorité avec un hélicoptère disponible toute l’année dans chaque département.

Le transport collectif paraissant difficile vue la faible densité de population, le désenclavement routier des zones isolées est une priorité, avec une attention portée à l’imposition sur le transport individuel, indispensable dans nos zones. La taxation croissante des carburants, légitime en zone urbaine, est un frein en zone rurale, faute d’alternative crédible aujourd’hui comme la voiture électrique.

Permettre aux familles de s’implanter demande le maintien d’un tissu éducatif et culturel de proximité.

L’élevage, activité économique majeure et architecte de l’espace hyper-rural, l’espace vert et bleu en Creuse

L’agriculture est historiquement le moteur économique de nos régions. En Creuse, l’agriculture occupe 68 % du territoire et représente 15 % des emplois (moins de 6 % au niveau national). La Creuse compte près de 4.400 exploitations, le plus souvent des structures familiales. Trois quarts d’entre elles sont orientées vers la production de bovin allaitant et la Creuse compte 450.000 bovins pour 120.000 habitants. L’élevage génère de nombreux emplois indirects dans la mécanisation, l’alimentation animale ou la commercialisation (cf. encadré). Outre cet aspect économique, l’élevage a façonné l’espace rural. Dans les secteurs où les animaux ont déserté les prés, la friche revient refermant les paysages, parfois remplacée par des sapinières uniformes. La perte de cette identité serait extrêmement préjudiciable à l’attrait touristique de nos territoires.

 

Une production de viande de haute qualité sous haute tension

La production de viande bovine dans notre zone est le gage d’un aliment de haute qualité, respectueux de son territoire et sain. Elle est indispensable à l’avenir de notre territoire hyper-rural, mais ce pilier de l’économie locale est en danger. La stagnation du prix de la viande lors des cinquante dernières années dans un contexte d’augmentation des charges structurelles fait subir un grave danger à la filière. Partiellement compensée par un système d’aides, les éleveurs ont dû s’adapter en améliorant la productivité de leurs animaux et en augmentant la taille des troupeaux. Ces solutions atteignent leurs limites : les aides européennes sont menacées et la capacité d’un éleveur à s’occuper d’un troupeau grandissant n’est pas extensible à l’infini.

Une mondialisation, source de concurrence avec des cahiers des charges très différents

La mondialisation de l’économie met en concurrence des productions avec des cahiers des charges très différents. Un traité comme le CETA va permettre l’importation de viande d’aloyau nord-américain à 8,60 € du kg alors que le prix moyen européen est de 13,70 €. Mais ces pays produisent dans des structures industrielles et 96 % des antibiotiques y sont en vente libre. Un avenir pour l’élevage de bovin allaitant demande :

  • Une prise de conscience du consommateur sur la nécessité de payer au juste prix un produit de qualité. C’est indispensable et la seule solution pour aider tous les éleveurs.
  • Une simplification administrative pour les éleveurs. Avec l’augmentation des troupeaux, le temps de travail a augmenté et demande à être complété par une partie administrative de plus en plus chronophage.
  • La montée en gamme de la production. Les filières se mettent en place comme en témoignent les campagnes de publicité sur les viandes de race ou les nombreux labels (210 produits sous Signe d’Identification de la Qualité d’Origine en Nouvelle Aquitaine). Cela nécessite d’être toujours plus performant en matière sanitaire, afin d’éviter les crises que nous avons connues et qui peuvent mettre à plat une filière en quelques jours, les exemples étant malheureusement nombreux ces dernières années.

Pour une excellence sanitaire animale et humaine…

L’élevage bovin allaitant présente des particularités sanitaires. Les animaux sont en plein air une grande partie de l’année, ce qui les expose aux aléas climatiques et favorise les contacts avec les autres troupeaux ou la faune sauvage. La gestion sanitaire se doit donc d’être collective et elle est cruciale pour :

  • La bonne santé des exploitations. Les facteurs sanitaires peuvent impacter lourdement les performances économiques des exploitations, que ce soit par les pertes directes (mortalité, morbidité) ou indirectes avec l’épuisement psychologique de l’éleveur.
  • Des échanges facilités. Outre la qualité intrinsèque des produits, les aspects sanitaires sont déterminants dans les échanges commerciaux nationaux et internationaux.
  • La confiance dans le travail des éleveurs. La consommation de viande est remise en question sur des critères éthiques et l’éleveur le ressent comme une injustice. Le suivi des élevages en difficulté protège la communauté des éleveurs des images négatives.
  • La santé publique. Les problèmes pathogènes en élevages peuvent avoir un impact sur la santé humaine. C’est le concept du « One Health » (Une seule santé), les agences vétérinaires et humaines œuvrant de plus en plus en concertation. Les GDS sont un maillon indispensable dans la chaîne sanitaire et travaillent au quotidien avec les éleveurs, les vétérinaires et les services de l’état. Ils veillent au bien-être animal dans les élevages, à l’amélioration du statut sanitaire global et cela a permis le succès du plan Ecoantibio 2012-2017 par exemple.

GDS Creuse, une structure sanitaire au plus proche des éleveurs…

Depuis 1953, GDS Creuse, association sanitaire des éleveurs, travaille dans ce sens. La tuberculose et la brucellose ont été éradiquées au niveau départemental, l’IBR est en phase de finalisation et la BVD, maladie entrainant des pertes économiques majeures, est le prochain objectif. Depuis 1996, le suivi de la faune sauvage permet d’estimer en temps réel le risque encouru par les animaux domestiques au pâturage. En 1999, la cellule de protection animale a été créée afin d’identifier les animaux en détresse et de proposer aux éleveurs concernés des solutions pour améliorer la situation. Ce travail sanitaire historique porte ses fruits, la Creuse ayant le taux de mortalité des veaux le plus faible de France.

… avec un engagement collectif des éleveurs et une nécessaire implication des collectivités…

Cette politique sanitaire volontariste des éleveurs s’est faite sur leurs cotisations, avec l’aide de l’état et des collectivités. Le Conseil Départemental, conscient de l’importance de l’élevage dans notre département, a toujours été à leurs côtés, par son soutien financier sans faille et sa volonté d’assurer la pérennité du Laboratoire Départemental. En secteur « hyper-rural » comme la Creuse, l’approche sanitaire des élevages demande à être encore plus préventive et collective du fait de la présence des contraintes citées plus haut. La gestion sanitaire en hyper-ruralité doit donc bénéficier d’une politique sur mesure pour assurer la pérennité et la compétitivité des élevages, la santé publique et l’occupation des territoires. Mais, les éleveurs ne peuvent le faire seuls pour l’ensemble de la société, cela demande un investissement, notamment financier, qui puisse se poursuivre à chaque niveau, Etat, Région et Département. Cela implique un rattrapage des oublis dans la loi NOTRe pour la répartition des compétences avec une poursuite possible de l’implication du Conseil Départemental !

… et un Etat qui doit rester présent dans ces zones pour la protection de l’ensemble de la population rurale et urbaine !

Dans le même temps, le désengagement de l’état dans les services publics se traduit à notre niveau par un affaiblissement de sa représentation locale, la DDCSPP. C’est en contradiction avec la volonté affichée d’aide ciblée aux territoires hyper-ruraux et la nécessité de telles structures dans un département où l’élevage occupe une place aussi prépondérante. La lumière mise sur les zones hyper-rurales, la Creuse en particulier est une opportunité historique de replacer ces territoires dans l’équilibre national. Cela passe par une politique volontariste, une modernisation du territoire et une solidarité régionale accrue. L’élevage étant au cœur de l’activité économique locale, il ne faudrait pas qu’il soit le grand oublié des réformes territoriales et que les déclarations d’intention ne soient pas suivies de mesures pratiques et financières, sous peine d’un effondrement de ces territoires. En ce début 2018, le Président et le Conseil d’Administration de GDS Creuse, les équipes GDS Creuse et Farago Creuse se joignent à nous pour vous présenter tous nos meilleurs vœux pour cette nouvelle année.

Boris BOUBET – Didier GUERIN
GDS Creuse

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